Vous le savez sans doute déjà, mais le Pays de Fontainebleau et ses rochers ne sont pas seulement un site d'escalade ou de randonnée mais aussi un des plus grands sites d'Europe pour l'étude de l’art rupestre Préhistorique !
Au cours de vos randonnées en forêt de Fontainebleau, vous en avez certainement côtoyé, parfois sans même vous douter de leur présence ! Facile, il y a ici plus de deux mille auvents gravés. Des milliers de signes, figures et symboles laissés par les premiers visiteurs des rochers il a plus de 30 000 ans ! Alors certes, ces gravures sont moins célèbres ou spectaculaires que celles de la vallée des Merveilles (Alpes-Maritimes) ou les gravures des Anasazis amérindiens mais Bleau, par son importance est bel et bien l’un des tout premiers sites d’Europe pour l'étude des gravures. Chaque année, de nouveaux abris sont découverts dans les grès de Fontainebleau. Plus étonnant encore, ces gravures sont en accès libre et gratuit et bénéficient de peu de protection. Ici pas de guide obligatoire pour partir à leur découverte... Hélas, la contrepartie c'est leur dégradation quasi inévitable soit par bêtise, soit par ignorance. Leur préservation est de plus en plus difficile dans une forêt aussi fréquentée c’est pourquoi, j’ai décidé de communiquer davantage sur leur importance patrimoniale tout en préservant leur localisation...
L’histoire Des Gravures Préhistoriques De Fontainebleau !
Signalés pour la première fois en 1868, ces abris ornés ont été recherchés et étudiés par bon nombre d’archéologues. Depuis 1975, le Groupe d’Etudes, de Recherches et de Sauvegarde de l’Art Rupestre (GERSAR) a repris leur étude de façon exhaustive. Pour l’essentiel, ces gravures datent du Mésolithique. Certaines, plus rares, sont plus anciennes ou plus récentes. Je vais vous résumer en quelques lignes leurs intérêts mais vous trouverez en bas de l'article tous les liens nécessaires pour en savoir plus.
L'histoire débute avec le Paléolithique ancien et moyen qui correspond à une longue période (d'environ 600 000 à 40 000 avant J.-C.) durant laquelle le climat est marqué par des alternances de périodes de glaciations et de périodes de réchauffement (interglaciaires). C'est la période des mammouths et rhinocéros laineux, cerfs mégacéros, bisons et chevaux. Malgré l’absence d’éléments de squelette humain connus pour ces périodes dans la région, la présence de l’homme est attestée par la découverte d’outils en pierre taillée (biface notamment). A Vernou-la-Celle-sur-Seine (Seine-et-Marne) des fouilles dans les différents niveaux de dépôts d’alluvions de la Seine ainsi que dans les tufs ont livré des empreintes fossiles de végétaux qui ont permis de reconstituer le paysage d’une phase interglaciaire à climat chaud et semi-humide
Vient ensuite le Paléolithique récent (de 40 000 à 9 000 avant J.-C.) qui marque la disparition progressive de l'homme de Néandertal et l'arrivée de l'homme moderne (Homo sapiens). À cette période, l’outillage est façonné sur des lames en silex. La découverte d’ateliers de taille à Étiolles et aux Tarterets (Essonne) a permis aux archéologues de comprendre les techniques d’obtention de grandes lames de silex pouvant atteindre jusqu’à 60 cm de long. En utilisant les lames en silex brutes ou transformées en outils, les hommes de Cro-Magnon ont confectionné des armes efficaces pour la chasse aux rennes. Ils ont également travaillé des matériaux comme le bois, les ramures de renne (harpons, pointes de sagaies), l’os (fabrication d’aiguilles) ou la peau d’animal (confection de vêtements, couvertures, tentes). Cette période voit l’émergence d’une expression artistique dans les grottes et les abris sous roche du sud-ouest de la France avec notamment de magnifiques représentations d’animaux (type Lascaux par exemple). Hélas, dans les grès de Fontainebleau, en Seine et Marne et en Essonne, ces représentations figuratives sont très peu nombreuses. La pierre gravée d’Étiolles (12 500 avant J.-C.) est un exemple très rare d’art paléolithique en Île-de-France. Les gravures représentent des chevaux, des rennes et un être imaginaire mi-homme mi-animal. Dans le Bassin parisien, les comparaisons sont limitées en raison de la rareté des œuvres.
A Beau, quatre chevaux (deux têtes sur petits fragments de roche et deux œuvres rupestres) peuvent être mentionnés. On peut citer le « cheval » peint en rouge sur un bloc de grès trouvé en 1954 dans une carrière à Boutigny (Essonne) et les deux équidés gravés dans un abri du massif des Trois Pignons (partiellement présenté dans l’exposition). Malgré l’absence de contexte archéologique, le naturalisme évoque un « style paléolithique » qui singularisent ces rares gravures au sein des ensembles locaux de gravures schématiques qui sont d’un âge post-glaciaire (mésolithique). Il y a aussi quelques rares représentations de cervidés dans les abris des Trois Pignons et quelques anthropomorphes. Toujours en Seine et Marne, si le site archéologique de Pincevent, dont on peut admirer un magnifique moulage de sol de 60 m2 d’un secteur d’habitation de ce campement de chasseurs de rennes, daté d'environ 14 000 ans (Magdalénien) retiendra toute votre attention, la tête de cheval sur cortex de silex est de datation plus récente, et d’âge azilien. Elle présente des détails de pilosité, de remplissage graphique qui les distinguent des chevaux d’Étiolles.
Sexe et Roc, nos Bl’Origines
Les Bl'Origines, gravures rupestres très symboliques, Trois Pignons |
Mais il semble que le sexe notamment féminin soit représenté dès cette époque ! On connaissait quelques gravures pouvant faire référence à un sexe de femme mais celui gravé dans la grotte aux équidés des Trois Pignons semble faire partie d’une très étonnante installation. En effet, les chevaux sont disposés en file de part et d'autre de trois fentes, initialement supposées naturelles, évoquant un triangle pelvien. Un réexamen approfondi a révélé le caractère artificiel des fentes ainsi que de nombreuses interventions anthropiques visant à modifier l'hydrologie de l'abri pour drainer l'eau vers la gravure représentant la vulve. Une expérience a ainsi démontré que le remplissage du bassin avec 50 litres d'eau provoquait l'écoulement sur la gravure au bout de deux jours. Cette découverte sans équivalent, laisse une vraie interrogation sur la symbolique ou le rituel associé à cet ensemble ! Cette « Bl’Origine du monde » est version paléolithique que Gustave Courbet n’aurait probablement pas reniée.
Arrivent ensuite les périodes qui vont nous intéresser le plus pour les gravures rupestres de Fontainebleau.
Les derniers chasseurs, pêcheurs, cueilleurs nomades vivent au Mésolithique (de 9 500 à 5 100 avant J.-C.). Moins primitifs qu'on pourrait le croire, ces hommes savent naviguer comme l'atteste la découverte d'une pirogue monoxyle en pin comptant parmi les plus anciennes embarcations connues à ce jour (7 000 avant J.-C.) découverte à Noyen-sur-Seine (Seine-et-Marne) en 1984, avec d’autres vestiges en bois (fragments de nasses à poisson). A partir de 10 000 avant J.-C., un réchauffement climatique (Holocène) s’opère, les forêts se développent à la place des steppes herbacées (les bouleaux puis les pins, noisetiers, ormes, chênes colonisent les plaines) et des espèces non grégaires comme les cerfs, les chevreuils et les sangliers prolifèrent. Ces changements environnementaux coïncident avec une mutation dans les techniques de chasse. On voit notamment une intensification de l'utilisation de l'arc, bien adapté à une végétation plus dense. Cette technique de chasse, apparue vraisemblablement il y a 12 000 ans, a nécessité la confection d'armatures microlithiques, caractéristiques des industries mésolithiques. A Paris, le site de la rue Farman, apparaît comme une découverte majeure car c'est la première fois qu'un gisement de chasseurs-cueilleurs a été mis au jour et fouillé sur les bords de Seine. Son étude a permis d'en apprendre un peu plus sur le Mésolithique d'Île-de-France, très mal connu jusqu'à présent (il s'agit seulement du deuxième site fouillé dans cette région en 15 ans, le premier étant situé à Rueil-Malmaison, Les Closeaux).
Et la peinture ?
Mais c’est le site mésolithique de la Grotte à la Peinture à Larchant qui s’avère être le gisement clé pour la datation et la compréhension de l'art rupestre de Fontainebleau. Découverte en 1959 et fouillée une première fois en 1981, la grotte et ses extérieurs immédiats ont livré une épaisse couche mésolithique composée d'importants vestiges matériels (industrie lithique et osseuse, faune, écofacts) témoignant d'activités domestiques et rupestres dont on retrouve encore les traces sur les parois. D'autres épisodes de fréquentations protohistoriques et historiques plus fugaces ont également été enregistrés dans la séquence sédimentaire de plus de 2 m par endroits. Sondé à nouveau en 2020, le site présentait encore un important potentiel archéologique permettant de nouvelles découvertes selon une méthodologie actuelle (fouille horizontale par unité stratigraphique, relevé en trois dimensions du matériel, tamisage...). Une première campagne de fouilles a été lancée à l’été 2021 pour explorer plusieurs secteurs à l'intérieur et à l'extérieur de la grotte afin de dater plus précisément les horizons mésolithiques et comprendre leurs relations avec les activités rupestres. Cette grotte est l’une des rares du Pays de Fontainebleau à abriter une peinture rupestre ! En effet, nous ne connaissons que trois peintures rupestres. Elles cohabitent avec des gravures et ne sont discernables que sous certaines conditions atmosphériques. Leur faible nombre ne permet pas de définir s'il y avait une désaffection de nos ancêtres pour ce genre de décoration ou si au contraire, ils en ont réalisé mais avec des moyens qui n'ont pu résister aux destructions naturelles notamment du fait de la forte acidité du sol.
Tracés digitaux préhistoriques de la grande grotte dite « grotte à la peinture », Larchant, (C) 2016 Greg Clouzeau |
L'entrée dans la Protohistoire est marquée par le Néolithique (de 5 100 à 2 300 avant J.-C.) qui est une grande période de changements pour l’histoire des hommes : l’agriculture, l’élevage, la poterie, le tissage et le polissage de la pierre apparaissent avec les premiers villages sédentaires. A cette époque, l'homme se fixe progressivement en périphérie de la forêt de Fontainebleau et des Trois Pignons. On a pu retrouver des habitations dites de type danubien, (rectangulaire) et de dimensions sont importantes (généralement 30 mètres de long et de 6 à 8 mètres de large) à Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne). Elles illustrent la progression, depuis les rives du Danube, des nouveaux modes de vie et savoir-faire qui ont atteint notre région il y a quelques milliers d’années grâce aux échanges et contacts entre les populations.
L’art rupestre bleausard montre alors d’importantes différences avec celui des autres sites. Ici, les gravures sont réalisées sous des auvents ou dans des cavités géodiques, sortes de poches dans le grès. Elles sont souvent exposées à la lumière du jour et à la vue. De la niche à la grotte d'une dizaine de mètres, les parois sont plutôt d'un grès tendre ce qui facilitait le travail des graveurs. Leur forte concentration dans certains sites est sans doute liée aux différentes natures de bancs de grès. On notera l’absence de dalle gravée exposée en plein air.
Les gravures sont ici principalement schématiques ou géométriques. Si on trouve encore quelques figurations animalières et humaines ainsi que des représentations d'armes et outils, la très grande majorité des gravures sont géométriques et abstraites. C’est le cas de ces milliers de traits parallèles ou croisés qui ornent la quasi-totalité des auvents gravés de Fontainebleau. Alors comment est-on passé d’un art très figuratif à cet art rupestre dont la signification nous échappe totalement ? Est-ce la traduction d’un accroissement de nos capacités intellectuelles ? Ne serait-ce pas là une étape préalable à la recherche d’une écriture ? Bref, décoder ces gravures est une tâche quasi impossible. Outre la difficulté de datation, comment connaître la significations différentes interactions entre les gravures d'une même cavité à travers les âges ?
Une Sauvegarde De Plus En Plus Difficile !
Toutes ces gravures ont été réalisées dans des zones suffisamment protégées pour traverser les millénaires jusqu'à nos jours. Hélas, quand les carriers du XIXe ne les ont pas détruites, ce sont les visiteurs d'aujourd'hui qui le font... En effet, leur facilité d'accès, la faible résistance mécanique du grès et la forte pression touristique les exposent à toutes sortes d’actes destructeurs.
En mars 2011 par exemple, celles de l’auvent du Rocher des Potets furent détruites par deux feux qui ont fait éclater la roche ! Pourtant, plusieurs alertes avaient été lancées mais mettre une grille à l’entrée de la cavité ou, ne serait-ce qu’un panneau d’information, n’a pas semblé efficace. Devant de nouvelles dégradations, il a été décidé « l’enrochement » de la grotte pour sauvegarder ce qui pouvait encore l’être… Et là, c’est certain, le bivouac est devenu impossible tout comme l’observation des gravures ! En juin 2011, un sentier de découverte de ces gravures a été inauguré dans les Trois Pignons. Un bel outil pédagogique qui, quelques semaines après son ouverture, était saccagé par des pilleurs venus voler les moulages en résine des gravures, documents pourtant sans valeur commerciale. La zone a ensuite été incendié en septembre 2012 ! Désespérant…
Quand elles ne sont pas recouvertes par la suie d’un stupide feu de camp, elles sont massacrées par des signatures, initiales ou dates ! Ainsi, les plus belles grottes de la Dame Jouane à Larchant ne sont aujourd’hui que des tunnels noircis où les traces de nos ancêtres ont disparus sous des centaines de patronymes. L’homme aime laisser une trace indélébile de sa visite et de son appropriation d’un lieu remarquable ! C’est visiblement dans la nature humaine depuis des millénaires mais alors, que faire pour protéger ces rares témoignages de nos ancêtres ? Quant aux gravures situées à quelques mètres des voies d’escalade, si elles ont été, jusqu’ici, préservées, la démocratisation de ce sport rend leur préservation de plus en plus incertaine.
Quelques grottes parmi les plus remarquables ont été murées en 1955 et leur localisation n’étaient connues que des spécialistes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Internet et réseaux sociaux fourmillent de témoignages et de localisation. Certaines gravures parmi les plus remarquables sont aujourd’hui signalées sur place par des panneaux informatifs et pédagogiques mais cela suffira-t-il ? Faut-il souhaiter que les visiteurs, grimpeurs, randonneurs n’aient le droit de fréquenter notre forêt qu’accompagné d’un guide professionnel et rémunéré comme dans le PN du Mercantour ? L’accès à Bleau doit-il être limité et payant ? Bref, sommes-nous si bêtes que nous ne puissions pas préserver ces trésors qu’à coups d’interdictions ? Je suis convaincu que certains massacrent les gravures par méconnaissance de leur importance historique et qu'il convient de leur apporter des informations pour qu'ils respectent ces témoignages ! Mais peut on faire confiance à la nature humaine et sa pseudo intelligence ?
Greg Clouzeau en 1998. Les gravures de l'arrière plan sont mises en valeur par un travail aux flashs réalisé par mon ami photographe Ben Mazuer |
Je vous proposerai des albums photographiques de ces merveilles comme celui-ci mais je ne donne jamais la localisation précises des gravures et j'avais même décidé de ne pas mettre de lien vers le site internet du GERSAR. Après discussion avec des grimpeurs et des randonneurs, je suis convaincu que certains massacrent les gravures par méconnaissance de leur importance historique et qu'il convient de leur apporter des pistes pour qu'ils puissent en savoir un peu plus ! Quant à ceux qui les détruisent volontairement... y z'ont pas besoin de nous !
Donc, merci de respecter et faire respecter ces témoignages du passé!!!
A lire :
Hervé Poidevin de Blois nous fait bénéficier sur son blog "Lespierresdusonge" de ses recherches sur les triples-enceintes, gravures bien connues dans l'art rupestre de Fontainebleau. Ses recherches, traitées avec le plus grand sérieux, nous donnent de multiples informations sur ce symbole abondant également en contexte architectural.
Ses études très fouillées nous apportent des ouvertures sur ces représentations dans un autre milieu que celui des abris ornés.
Rappel concernant les fouilles : LA RÉGLEMENTATION
Le service régional de l'archéologie veille à la protection matérielle des vestiges et des sites, mais est aussi chargé de l'application de la législation et de la réglementation qui protègent tous les vestiges, connus ou mis au jour fortuitement : code du patrimoine, livre V, titres II et III.
Les atteintes, à ce patrimoine, sont un délit tombant sous le coup d'amendes et de peines d'emprisonnement prévues à l'art. 322-3-1 du Code pénal.
L'utilisation de détecteurs de métaux est soumise à autorisation : "Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d'objets métalliques, à l'effet de recherches de monuments et d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie, sans avoir au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche."
Le service régional de l'archéologie est associé réglementairement à l'instruction des autorisations d'aménagement : permis de lotir, permis de construire, permis de démolir, déclaration de travaux, et études d'impact (décret du 25 février 1993). Ces aménagements peuvent faire l'objet de prescriptions de la part du Préfet de région pour assurer la protection du patrimoine archéologique.
Texte extrait de : http://www.culture.gouv.fr/picardie/les_services/definitions/archeo/reglementation.html
Réglementation archéologie en France http://www.archeodroit.net/html/jdc_regl.html
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