vendredi 13 août 2021

Mare à Piat, Mare à Dagneau et les enseignements des mares de tourbière de Belle-Croix

J'ai déjà longuement évoqué l'importance des mares de Fontainebleau notamment dans cet article. Non loin des célèbres Mare à Piat et Mare à Dagneau, sur les hauteurs du Cuvier, saviez-vous qu'il se trouve un ensemble de mares de platière d'un très grand intérêt tant pour les naturalistes que les écologues et historiens ? L'occasion pour moi d'accompagner mes images de ces célèbres mares d'un article sur la sphaigne, les tourbières et leurs enseignements historiques sur Fontainebleau ! 

Sur les vieilles cartes qui décrivaient les sentiers bleus Denecourt, trois autres mares étaient indiquées et décrites dont la Mare Collinet et la Mare de Belle-Croix. Situées dans la Réserve Biologique, parcelle forestière 880, sur un tracé aujourd'hui abandonné, ces mares oubliées abritent quelques magnifiques secrets. Est-ce pour les protéger que toutes ces mares ont progressivement été effacées des topoguides touristiques et des cartes IGN ? Commençons donc notre balade par les mares les plus classiques.

La Mare à Piat

La mare à Piat est aujourd'hui célèbre pour les nénuphars blancs (nymphaea alba) qui l'envahissent chaque été. Située au bord de la Route de la Mare à Piat (en réalité un petit sentier) sur l'ancien Denecourt, elle jouxte une deuxième petite mare de platière beaucoup plus classique. Notez qu'autrefois, le paysage était très différent et que la Platière de Belle-Croix du temps de Denecourt était nettement moins boisée. Seul quelques très vieux chênes remarquables aujourd'hui disparus ombrageaient le paysage ! Baptisée du nom d'un forestier qui y aurait pris un bain forcé après une altercation avec  des paysans, je doute que cette mare fut peuplée de tels nénuphars au milieu du XIXe.
Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau


Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau
F O N T A I N E B L E A U

Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau


Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau


Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau

Mare à Piat
Mare à Piat, Forêt de Fontainebleau


nénuphars blancs (nymphaea alba) Mare à Piat Fontainebleau


nénuphars blancs (nymphaea alba) Mare à Piat Fontainebleau


nénuphars blancs (nymphaea alba) Mare à Piat Fontainebleau


Petite mare voisine de la Mare à Piat

La Mare à Dagneau


A quelques dizaines de mètres de la Mare à Piat, les habitués ne manquent pas de rendre visite à la très belle et romantique Mare à Dagneau plantée au milieu des grandes herbes. Ambiance pays des fées et Dame du Lac garantie !
Mare à Dagneau, Forêt de Fontainebleau


Mare à Dagneau, Forêt de Fontainebleau


Mare à Dagneau, Forêt de Fontainebleau


En dehors de ces deux grandes mares, la platière de Belle-Croix est truffée de petites mares de platière plus ou moins pleines suivant les saisons. Parmi celle-ci, se cache, dans une dépression de la platière, cette étrange mare qui semble avoir été taillée par les carriers. Peut-être est-ce la Mare Collinet indiquée sur les vieilles cartes et indicateurs des Sylvains ? 
Mare Collinet, Forêt de Fontainebleau


Mare Collinet, Forêt de Fontainebleau


Mare Collinet, Forêt de Fontainebleau


Le grès porte les stries des différents niveaux de remplissage. Est-ce une mare de platière reposant donc sur une dalle de grès étanche ou une dépression creusée par l'homme et qui s'est étanchéifiée par la suite ? Je ne saurai le dire. Donc si quelqu'un en sait plus, je suis preneur... N'hésitez pas à laisser un commentaire en bas de l'article ou à me contacter par mail ou sur les réseaux...

Mare Collinet, Forêt de Fontainebleau
Est-ce la Mare Collinet signalé encore début 1900 sur les cartes et indicateurs ?


Toujours sur la platière, on trouve diverses zones humides et tourbières plus ou moins profondes. Mieux vaut éviter de les traverser, au risque d'y laisser plus qu'une chaussure ! En outre la très forte valeur biologique de ces habitats rares et spécifiques, est aussi très fragile et menacée. Parmi celle-ci se trouve la Mare australe de Belle Croix  où ont été pratiqué les prélèvements que je vais évoquer.

 
Mare australe de Belle Croix, Fontainebleau


Mare australe de Belle Croix, Forêt de Fontainebleau


Mare australe de Belle Croix, Forêt de Fontainebleau


Ces mares ont une importance patrimoniale et scientifique capitale car leur très lente évolution a suivi celle du climat et de la végétation associée. Il est donc possible en les analysant de connaître le passé. Des sondages ont donc été réalisés en 2005 et 2007 jusqu'à 3 mètres de profondeur retraçant au passage 10 000 ans de l'histoire de notre forêt et du climat dans la région. Ces enseignements sont notamment rendus possibles grâce à la présence des sphaignes, formatrices de la tourbe (j'y reviens un peu plus bas).

Mare australe de Belle Croix, Forêt de Fontainebleau
Dans la Mare australe de Belle Croix, Forêt de Fontainebleau ont distingue la sphaigne et
les touradons qui se sont formés en surface (relire l'article cité en introduction)

La sphaigne, vous le savez certainement, c'est une sorte de mousse et pour le néophyte, cela s'arrête souvent là ! D'ailleurs j'avoue volontiers que je serai bien incapable de distinguer les différentes espèces de Sphaigne. Si le genre Sphagnum regroupe de 1 510 à 3 500 espèces dans le monde (suivant les différentes nomenclatures botaniques), seule une trentaine de taxons sont présents en France. Mais franchement, ils sont difficiles à identifier sans l'aide d'un microscope !

Sphaigne (Sphagnum), Forêt de Fontainebleau, espèce non définie
Sphaigne (Sphagnum), Forêt de Fontainebleau, espèce non définie



La sphaigne se compose d'une tige principale avec des feuilles poussant directement sur cette tige et des rameaux formant comme des faisceaux, portant eux aussi des feuilles. Donc, on est en présence de deux types de feuilles et de deux types de cellules :
les cellules chlorophylliennes ou chlorocystes sont vivantes, bien vertes et de petite taille sont situées sur la partie haute,
les cellules hyalines ou hydrocystes sont mortes, plus grandes et ternes mais ces cellules continuent de stocker de l'eau grâce à des sortes de poches qui sont étanches même après la mort de la cellule.

Enfin, le capitule ou apex, situé tout en haut de la plante est constitué d'un bourgeon apical, qui va pousser continuellement mais lentement et refaire des feuilles en dessous. Poussant en touffe plus ou moins immergée, c'est donc souvent la seule partie visible de la plante ce qui rend sont identification délicate.  Les matières organiques mortes de la sphaigne (ou fossiles) accumulées forment donc progressivement une tourbière.

La principale caractéristique de la sphaigne est donc sa capacité à retenir de l'eau. Beaucoup d'eau ! Jusqu'à 26 fois leur poids sec selon l'espèce.
Les accumulations de sphaignes participent à la formation de la tourbière qui accumule 0,2 à 1 mm de tourbe par an. Cette lente croissance de la tourbe piège des témoins biologiques ou matériels des temps anciens. La palynologie (l’étude des pollens) et la paléopalynologie (celle des pollens « fossiles ») des tourbières permet de connaître très précisément les végétaux présents dans les temps anciens et le climat ! En général, 3 à 5 cm d’épaisseur correspondent à un siècle environ et certaines tourbières font jusqu'à 10 m d’épaisseur (en zone tropicale) ! 

Sphaigne (Sphagnum), Forêt de Fontainebleau, espèce non définie
Sphaigne (Sphagnum), Forêt de Fontainebleau, espèce non définie

Plusieurs espèces de sphaignes sont généralement trouvées dans une même tourbière. 24 sont décrites en IDF et 6 n'ont plus été observées depuis plusieurs années. Lorsqu'elles s'installent, elles forment des buttes où l’acidité du sol et l’oligotrophie augmentent progressivement la rétention d’eau. Au stade "ombrotrophe", la butte peut survivre juste avec l’eau pluviale. Parmi les espèces présentes à en Ile de France, la Sphaigne de Magellan (Sphagnum magellanicum) est une des espèces rares et uniquement présente ici, à Fontainebleau. Elle est déterminante pour la classement en ZNIEFF. Située quelques part sur les platières de Belle-Croix et Franchard, c'est dans ces tourbières qu'ont été  réalisés plusieurs sondage jusqu'à 3 m de profondeur pour mieux comprendre l’histoire et le climat de notre région comme évoqué plus haut et dont voici le schéma de coupe et ses enseignements d'après l'étude de Thiry et Liron (pour le détail de leur étude, téléchargez leur pdf).

Notez que la locution « before present » (BP) est utilisée en préhistoire, en paléontologie, en géologie et en climatologie pour désigner les âges exprimés en nombre d'années comptées vers le passé à partir de l'année 1950. Cette date a été fixée arbitrairement comme année de référence parce qu'elle correspond aux premiers essais de datation par le carbone 14 très légèrement postérieure aux premiers essais nucléaires qui ont perturbé la répartition d'isotopes utilisés en datation radiométrique.


schéma de coupe des carottages à Fontainebleau et ses enseignements sur le climat
 schéma de coupe des carottages à Fontainebleau et ses enseignements sur le climat
d'après l'étude de Thiry et Liron

Comme vous pouvez le voir sur le schéma, ces carottages ont également prouvé la présence de l'homme préhistorique à cet endroit de la forêt sans doute avant l'arrivée de la mare. Une présence qui doit probablement être rapprochée du site de gravures Mésolithiques du point de vue du Camp de Chailly situé à un peu plus de 2 km vers l'ouest où, en plus des gravures, il a été mis en évidence plusieurs foyers et un abondant matériel microlithique taillé.

Aujourd'hui les sphaignes sont menacées de disparition (tout comme le milieu dan lequel elles poussent). En effet, toutes les tourbières sont menacées par les drainages des zones humides. En outre, l'utilisation massive d'engrais chimiques dans les champs ont aussi nuit gravement au développement cellulaire des sphaignes. Elles ont pourtant un rôle cruciale tant pour la nature que pour certaines économies humaines (la tourbe a été utilisée comme combustible, matériel de construction mais aussi dans les produits hygiéniques). Les tourbières sont d'importants puits de stockage du carbone ; elles jouent un rôle de zone tampon diminuant à la fois le risque d'inondation en aval et de sécheresse estivale. L'évaporation et évapotranspiration des sphaignes rafraîchissent également fortement l'air.  Bien entendu, le biotope formé par ces accumulations humides de tourbe fournit aussi un habitat irremplaçable à un large éventail de plantes et d'animaux.

2 commentaires:

  1. C'était passionnant... voilà le type de milieu sur lequel je ne suis pas très connaisseuse! Merci beaucoup!!!!

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    1. Bonjour Cécile,
      Merci beaucoup à toi d'avoir pris le temps de me lire. C'est effectivement un milieu tout aussi passionnant que nos pelouses à Orchidées sauvages ! Bien à toi et à très bientôt.

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Bonjour,
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